Loi de santé : Tiers payant et liberté de prescription

Décision du Conseil Constitutionnel n°2015-727 DC du 26 janvier 2016 : loi de modernisation de notre système de santé

Par sa décision en date du 21 janvier 2016, le Conseil Constitutionnel, saisi par plus de soixante députés et sénateurs, s’est prononcé sur la loi de modernisation de notre système de santé. Cette saisine soumettait à l’appréciation de la cour suprême de nombreuses dispositions de la loi et notamment, celles relatives à l’interdiction de la vente de tabac aromatisé, sur l’interdiction de la publicité pour le tabac à l’intérieur des débits de tabac, sur le paquet de tabac « neutre », sur la réduction des risques et des dommages pour les consommateurs de drogue ou encore sur la suppression du délai de réflexion d’une semaine en cas de demande d’interruption de grossesse. Ces différentes dispositions n’ont pas subi la censure du Conseil Constitutionnel.

En revanche, les sages ont jugé contraires à la Constitution les dispositions de la loi qui rendent obligatoire, à compter du 1er janvier 2017, le dispositif du tiers payant pour les organismes maladie complémentaire.

En effet, le 4° du paragraphe I de l’article 83 de la loi Touraine dispose : « I. Le déploiement du mécanisme du tiers payant, permettant de pratiquer la dispense d’avance de frais pour les bénéficiaires de l’assurance maladie, s’effectue, (…) selon les modalités suivantes (….) 4° à compter du 1er janvier 2017, les professionnels de santé exerçant en ville peuvent appliquer le tiers payant aux bénéficiaires de l’assurance maladie sur la part des dépenses prise en charge par l’assurance obligatoire et sur celle couverte par leur organisme d’assurance maladie complémentaire. L’ensemble des organismes d’assurance maladie ainsi que les organismes d’assurance maladie complémentaire, pour le bénéfice de l’article L. 871-1 du code de la sécurité sociale, sont tenus de mettre en œuvre le tiers payant effectué par ces professionnels (…) ».

En d’autres termes, la loi Touraine prévoit, d’ici 2017, une généralisation du tiers payant, jusqu’alors octroyé aux seuls bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU) et de l’aide médicale d’Etat (AME).

Autre particularité, cette généralisation concerne uniquement les soins dit « de ville ». Dès lors, seuls les médecins et les autres professionnels de santé exerçant à titre libéral en ville, seront directement payés par l’assurance maladie et la complémentaire santé.

Selon les députés et les sénateurs requérants, en prévoyant une généralisation du tiers payant pour les seuls soins de ville, l’article 83 remettrait en cause certains principes essentiels, comme le libre choix du médecin par le patient et de paiement direct des honoraires par le malade ou encore la liberté d’entreprendre des médecins libéraux.

En outre, selon les requérants, en ne désignant pas de manière suffisamment précise les professionnels de santé concernés, les dispositions litigieuses méconnaîtraient également l’étendue de la compétence du législateur.

C’est sur ce deuxième point que les sages se sont fondés pour juger la non-conformité des dispositions contestées à la Constitution.

En effet, le Conseil Constitutionnel a validé le tiers payant obligatoire d’ici 2017 pour tous concernant les organismes d’assurance maladie de base.

En revanche, les sages ont jugé contraire à la Constitution le dispositif du tiers payant pour les organismes maladie complémentaire, au motif que le législateur n’a pas suffisamment encadré ce dispositif et a ainsi méconnu l’étendue de sa propre compétence :

« (…) En se bornant à édicter une obligation relative aux modalités de paiement de la part des dépenses prise en charge par les organismes d’assurance maladie complémentaire sans assortir cette obligation des garanties assurant la protection des droits et obligations respectifs du professionnel de santé et de l’organisme d’assurance maladie complémentaire, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence ; que, dès lors, les mots « et sur celle couverte par leur organisme d’assurance maladie complémentaire » et les mots « ainsi que les organismes d’assurance maladie complémentaire, pour le bénéfice de l’article L. 871-1 du code de la sécurité sociale, » figurant au 4° du paragraphe I de l’article 83, sont contraires à la Constitution ».

En revanche, le Conseil Constitutionnel a considéré que les dispositions contestées ne portent aucune atteinte à la liberté d’entreprendre des professionnels de santé, dans la mesure où ces dispositions ont seulement pour objet de fixer les modalités d’organisation du système de santé « ainsi que les conditions selon lesquelles est assuré le paiement de la part de la rémunération des professionnels de santé exerçant en ville qui est prise en charge par les régimes obligatoire de base d’assurance maladie ».