Naissance antérieure à la loi « anti-Perruche » mais action en justice postérieure : quelle solution ?

Cour de Cassation, 1ère civ., 15 décembre 2011, n°10-27–.573

Une action en responsabilité est engagée en 2006, à l’encontre d’un médecin et d’une clinique, par les parents et la soeur d’un enfant né en 1988. Celui-ci est en effet atteint d’un handicap grave et les demandeurs souhaitent d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices trouvant leur origine dans l’impossibilité d’interrompre la grossesse en raison d’une erreur de diagnostic prénatal.

La Cour de cassation a débouté les demandeurs. Par un arrêt du 15 décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé que les dispositions « anti-Perruche » de la loi Kouchner (insérées à l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles) ne s’appliquent pas aux dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur, c’est-à-dire qu’elles ne concernent pas les naissances survenues avant le 7 mars 2002, même si la date d’introduction de la demande en justice est postérieure à cette date.

Médiator : installation du fonds d’indemnisation

Le fonds d’indemnisation des victimes du Médiator vient d’être installé et les demandes d’indemnisation peuvent être adressées à l’Office National des Accidents Médicaux (ONIAM) à compter du 1er septembre 2011.

Ce fonds, après examen de chaque demande par un collège d’experts, adressera une demande d’indemnisation au laboratoire SERVIER qui disposera d’un délai de trois mois pour verser la somme réclamée ou opposer son refus à la victime. Dans ce dernier cas, l’indemnisation sera versée par l’ONIAM qui, dans un second temps, se retournera vers le laboratoire pour obtenir remboursement des sommes versées.

Si cette procédure permettra de raccourcir les délais de traitement des demandes d’indemnisation par rapport à une action judiciaire, il conviendra d’être vigilant quant au montant de la réparation qu’elle octroiera. On sait que le principe de réparation intégrale s’accommode parfois difficilement des propositions financières faites par les fonds d’indemnisation financés en majeure partie par des fonds publics.

La levée de l’anonymat de l’accouchement : la position de l’Académie de médecine

Dans un communiqué du 8 mars 2011 intitulé « A propos de l’accouchement dans le secret », l’Académie Nationale de Médecine réaffirme sa volonté de ne pas voir levé l’anonymat de l’accouchement.

L’Académie indique en effet que celui-ci est nécessaire pour préserver un climat de confiance déjà difficile à instaurer auprès des femmes en grande difficulté qui y ont recours. Elle estime qu’à l’heure actuelle, la loi protège à la fois la liberté de décision de la femme et de l’enfant et ajoute qu’elle souhaite que la législation relative à cette problématique cesse de fluctuer au gré des « changements de responsables politiques » afin de créer une fois pour toutes le climat de confiance et de sérénité indispensables à l’accompagnement des femmes accouchant sous anonymat.

Frais futurs : la pratique de l’expertise, Conférence du 8 avril 2011

Sommaire de la conférence du 8 avril 2011, journée de formation de l’AMPAN (Association Médicale de Perfectionnement en Appareillages Nationale), Roscoff.

Véronique RACHET-DARFEUILLE, Avocat au Barreau de Nantes

I/ De quelle expertise s’agit-il ?

  1. Expertise amiable ?

    • La discussion juridique post-expertise entre l’assurance et l’avocat de la victime : Jurisprudence: responsabilité professionnelle de l’avocat engagée pour manquement à son obligation de conseil pour n’avoir pas conseillé sa cliente sur les avantages et inconvénients de refuser une proposition transactionnelle de l’AP-HP : cour d’appel de Paris, 14 janvier 2003, n°2001-13604.
    • L’enjeu du respect du contradictoire
    • L’assistance de la victime : la présence du médecin conseil de la victime, librement choisi par elle
  2. Expertise judiciaire ?

    • CRCI ou TGI ou TA
    • Le libellé de la mission d’expertise

Jurisprudence : Cour de cassation, 3e civ., 17 juillet 1996, n°95-20378 : sont privés d’effet les développements d’une expertise qui excèdent la mission définie par le juge (méthode d’évaluation d’un immeuble fixée par le juge et non suivie par l’expert)

II/ La définition des « frais futurs »

  1. Selon le rapport Dintilhac (juil.2005) :

  2. Les dépenses de santé futures sont les « frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels, mais médicalement prévisibles, répétitifs et rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après consolidation (…) Ces frais futurs ne se limitent pas aux frais médicaux au sens strict : ils incluent en outre les frais liés soit à l’installation de prothèses pour les membres, les dents, les oreilles ou les yeux, soit à la pose d’appareillages spécifiques qui sont nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique permanent qui demeure après consolidation ».

  3. Selon le protocole d’accord établi le 24 mai 1983 entre les organismes de protection sociale et les assurances

  4. Ce sont « ceux dont la charge est certaine ou prévisible selon l’avis du médecin et pour la durée indiquée par celui-ci »

III/ Les caractéristiques des « frais futurs »

  1. Des « frais prévisibles » :

    • De l’état séquellaire au jour de la consolidation
    • De la durée de l’état séquellaire : à vie ou à terme défini
  2. Suppose une évaluation par l’expert :

    Jurisprudence : Une coxarthrose « débutante et silencieuse » jusqu’à l’accident n’a été que « révélée par l’accident ». La cour d’appel d’Aix en Provence, limite à 25% la réparation des postes de préjudices résultant de la coxarthrose (état antérieur), dont la pose d’une prothèse. La cour de cassation casse l’arrêt d’appel : « en l’absence de l’accident, la pose d’une prothèse n’aurait pas eu lieu dans un délai prévisible ». La cour d’appel n’avait pas à limiter la réparation à 25% mais à ordonner une réparation intégrale (cour de cassation, 11 janvier 2011, n°10-81716).

  3. Des frais « rendus nécessaires par l’état pathologique (y compris interventions esthétiques) de la victime après consolidation » :

    • L’état pathologique séquellaire « stable »
    • Le risque d’aggravation de l’état pathologique qui nécessitera une nouvelle expertise
  4. L’expert doit distinguer entre :

    Jurisprudence : Cour de cassation, 2ème civ., 20 déc. 2007, n°07-13.575 : les ayants droits d’une victime de l’amiante acceptent l’offre faite par le FIVA puis demandent l’indemnisation de nouveaux postes de préjudices (physiques, d’agrément et esthétique) devant la cour d’appel : « l’acceptation par les consorts X… de l’offre d’indemnisation du préjudice extra-patrimonial subi par Charles X… rendait toute action juridictionnelle de ce chef irrecevable »

  5. Des « frais répétitifs » ou occasionnels

    • Particulièrement pertinent pour le renouvellement d’appareillages (prothèses, fauteuil roulant)
      Suppose une description des soins à venir, les justifier (à partir des soins déjà dispensés), les rattacher à l’accident (causalité)

IV/ La nature des « frais futurs »

  1. Toutes les dépenses de santé

    • frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux (soins kiné, infirmiers, orthoptiques, orthophoniques), pharmaceutiques (soit pris en charge à 100% par la Caisse, soit un reliquat reste à la charge de la victime)
    • De la date de consolidation à la date de règlement (arrérages échus dont le montant de ne fera pas l’objet d’une capitalisation)
    • De la date de règlement et pour l’avenir (capitalisation : déterminée en fonction de l’espérance de vie de la victime et du taux de placement de l’argent ou rente)
  2. Donc suppose une ventilation précise pour permettre à la victime d’être indemnisée de la totalité des soins restés à charge :

Jurisprudence : Le refus de la victime de recourir à l’intervention chirurgicale prévue par l’expert et indemnisée (en l’occurrence la pose d’une prothèse) n’ouvre pas droit pour l’assureur du responsable à remettre en cause l’allocation du capital ordonné par la cour d’appel (Cour de Cassation, 19 mars 1997, n°93-10914)

V/ L’enjeu de l’expertise sur les frais futurs pour la victime

  1. Limiter le recours des tiers payeurs (assureurs sociaux, employeurs publics ou privés, mutuelles, sociétés d’assurance) aux sommes qu’ils ont strictement engagées :

    • La ventilation poste par poste…
    • L’importance d’une description précise des frais futurs, ex : fauteuil roulant électrique ou à propulsion manuelle ?
    • …permettra d’encadrer le recours poste par poste
    • L’importance de justifier des sommes que le tiers payeur a déjà engagées
  2. Article 376-1 du Code de la Sécurité sociale : « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel. Conformément à l’article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. Cependant, si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s’exercer sur ce poste de préjudice (…). »

Conclusion

  • Rappel du contexte : au-delà du traitement juridique du dossier, c’est la problématique de l’indemnisation du handicap lourd
  • Assurer à la victime les ressources financières adaptées à son handicap pour l’avenir