Le médecin peut écarter les directives anticipées

Conseil d’Etat, Juge des Référés, formation collégiale, du 19 août 2022, n°466082 et QPC n°2022-1022 du 10 novembre 2022

Le Conseil d’Etat vient de rendre un arrêt qui apporte des précisions utiles sur les directives anticipées et précisément sur la possibilité, offerte par l’article L. 1111-11 du Code de la Santé Publique, aux médecins, d’écarter les directives anticipées lorsqu’elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».

Il s’agissait d’un patient âgé de 44 ans, victime d’un polytraumatisme grave, compliqué par un arrêt cardio-respiratoire après qu’il ait été écrasé par un véhicule sur lequel il effectuait des réparations.

Ce traumatisme a privé le cerveau d’oxygène pendant 7 minutes.

Il est immédiatement admis au service de réanimation et le médecin en charge de ses soins, le place dans le coma le temps de stabiliser son état de santé.

Quinze jours après son admission, il est établi que ce patient souffre d’absence de réflexe du tronc cérébral (hormis le réflexe oculo cardiaque et un réflexe de ventilation spontanée mais insuffisant pour envisager de le sevrer de la ventilation mécanique), d’absence d’activité cérébrale et de lésions anoxiques sévères.

Après étude de sa situation, l’équipe pluridisciplinaire (neurologue, radiologue et membre du comité d’éthique du CHU, réanimateurs extérieurs) considère que son état est insusceptible d’amélioration et que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable au sens de l’article R. 4127-37-2 du Code de la Santé Publique.

Ainsi, les traitements apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie du patient.

Ainsi que le préconise la législation, une procédure collégiale est entamée, laquelle conduit à une décision d’arrêt des soins, qui est annoncée aux proches comme devant être mise en œuvre 8 jours plus tard.

La famille a alors saisi le Juge des Référés du Tribunal Administratif afin que soit suspendu l’arrêt des traitements, s’appuyant sur les directives anticipées du patient.

On peut préciser que ces directives anticipées étaient relativement récentes, puisqu’elles avaient été établies 2 ans après l’accident de celui-ci.

En raison de cette procédure, la procédure collégiale a été reprise, de nouvelles réunions, de nouveaux examens et des consultations extérieures sont menées et, à nouveau, le maintien des actes et des traitements est apparu à l’équipe médicale comme inutile et disproportionné.

Compte tenu de ces perspectives très négatives d’évolution et du fait que les thérapeutiques disponibles ne pouvaient plus apporter de bénéfices au patient, une nouvelle décision d’arrêt des soins, écartant les directives anticipées du patient, est prise 1 mois et demi plus tard par le chef du service de réanimation.

Le Tribunal Administratif a, dans un premier temps, rejeté la demande de suspension de cette décision.

Le Conseil d’Etat est donc saisi par la famille.

Les proches du patient décident de saisir le Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité, laquelle donnera lieu à une décision du 10 novembre 2022.

Aux termes de cette décision, le Conseil Constitutionnel précise que les dispositions du Code de la Santé Publique, permettant aux médecins d’écarter les directives anticipées manifestement non applicable à la situation du patient, sont conformes à la Constitution et ne revêtent pas le caractère imprécis que lui prête les proches du patient.

En effet, le Conseil Constitutionnel rappelle que le législateur a estimé que le médecin pouvait écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient.

De ce fait, ces dispositions ne sont, selon le Conseil Constitutionnel, ni imprécises, ni ambiguës.

Le Conseil Constitutionnel considère également que la loi Léonetti a estimé que, si les directives anticipées pouvaient être écartées dans ces circonstances, c’était qu’elles étaient rédigées à un moment où la personne ne se trouvait pas encore confronté à la situation particulière de la fin de vie. Se faisant, le législateur a entendu garantir le droit de toutes personnes à recevoir les soins le plus appropriés à son état et assurer ainsi la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie.

En d’autres termes, le Conseil Constitutionnel rappelle que la législation française, relative à la fin de vie, reste empreinte d’une trace de paternalisme.

Elle prévoit la situation dans laquelle les directives anticipées ne seraient plus à jour des volontés du patient ou inadaptées à la situation de santé qu’il présente, au moment où la décision d’arrêt des traitements est envisagée.

Reste à attendre la décision du Conseil d’Etat à la suite de la décision rendue par le Conseil Constitutionnel.

Il y a fort à parier qu’ainsi l’a jugé le juge de première Instance, il considèrera comme conforme, la décision d’arrêt des soins prise par le médecin de ce patient et écartera ses directives anticipées.