Barèmes et algorithmes aux commandes de l’indemnisation du préjudice corporel

Télécharger la version PDF. Lettre d’information septembre 2017

Le 13 mars 2017, le Garde des sceaux a présenté le projet de réforme de la responsabilité civile.

Celui-ci, qui intervient dans le prolongement de la réforme des contrats, prévoit une partie spécifiquement consacrée à l’indemnisation du préjudice corporel au sein de laquelle apparaitrait une sous-section intitulée « Règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel ».

Le projet d’article 1269 prévoit que « les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’un dommage corporel sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’Etat ».

Cet article intégrerait à la loi le principe jurisprudentiel de l’indemnisation des préjudices poste par poste et on peut raisonnablement imaginer que la nomenclature visée ici sera celle élaborée par le groupe de travail DINTILHAC.

Reste à savoir si le décret envisagé se fondera sur cette nomenclature préexistante ou si une nouvelle description des préjudices sera proposée, intégrant les précisions que la jurisprudence a peu à peu ajoutées à la nomenclature originelle.

« une réelle volonté d’harmoniser les outils aujourd’hui utilisés »

Le projet de réforme se prononce également sur les outils que les magistrats devront utiliser pour chiffrer les préjudices corporels.

Le projet d’article 1270 indique ainsi que l’évaluation du déficit fonctionnel permanent se fera au moyen d’un « barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voies règlementaire ».

Il existe déjà un barème de ce type en annexe du Code de la santé publique, cependant, son utilisation de manière systématique n’est aujourd’hui assurée par aucun texte.

Plusieurs autres barèmes ont donc vu le jour, conçus par des assureurs, des médecins-experts, les juridictions ou des associations de victimes, chacun utilisant des algorithmes de calcul plus ou moins opaques mais propres à favoriser telle ou telle partie du procès en réparation du préjudice corporel.

De ce fait, nul doute que les modalités d’élaboration de ce nouveau barème unique donneront lieu à des débats houleux !

L’article 1271 à venir prévoit que l’indemnisation des postes de préjudices extrapatrimoniaux se fera au moyen « d’un référentiel indicatif d’indemnisation (qui) sera réévalué tous les trois ans en fonction de l’évolution de la moyenne des indemnités accordées par les juridictions ».

« Le risque d’un « lissage » des indemnisations est donc réel »

Afin de réaliser ce référentiel, sera créée une base de données rassemblant les décisions définitives rendues par les Cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’accident de la circulation.

Ce discret article laisse à penser que le législateur prévoit l’utilisation des algorithmes d’aide à la décision judiciaire. Certains sont actuellement en test auprès de Barreaux ou de juridictions.

Leurs concepteurs nous expliquent qu’ils seront capables non seulement de colliger intelligemment des milliers de décision mais aussi de les analyser de telle sorte qu’ils seront capables de « prédire » le sens des futures décisions.

Le risque d’un « lissage » des indemnisations est donc réel, le texte proposant déjà de fixer ce référentiel à partir d’une moyenne.

Le projet d’article 1272 prévoit quant à lui que l’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne aura lieu de principe sous forme de rente.

L’indemnisation pourra également se faire sous forme de capital, avec l’accord des parties ou sur décision spécialement motivée.

Ces dispositions ne sont pas favorables aux victimes qui, dans le cas où leurs préjudices seront faibles ou moyens, ne pourront bénéficier que d’une rente de quelques dizaines ou centaines d’euros là où, auparavant, ils pouvaient bénéficier d’un capital dont le réemploi est plus facile qu’une petite somme mensuelle.

Il ressort de ce projet de loi une réelle volonté d’harmoniser les outils aujourd’hui utilisés par les acteurs de l’indemnisation du préjudice corporel.

Cependant, l’inscription de ces référentiels et barèmes dans la loi est malaisée à combiner avec le principe de la réparation intégrale des préjudices, tant l’utilisation d’un barème est difficilement compatible avec l’évaluation singulière des préjudices de chacun.

Ce projet porté par le gouvernement précédent, n’est à ce jour pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale mais tous les indicateurs tendent à démontrer que sa méthode sera reprise lors de la prochaine législature.

Mes RACHET- DARFEUILLE  & THELOT